En juin 1944, alors que les Alliés débarquent en Normandie et entament la libération de la France du joug nazi, Cluny est au centre d’un des plus importants foyers de résistance de Saône-et-Loire. Pour faire face à l’occupant, les résistants Clunisois sont bien organisés, et disposent notamment d’un moyen de communication original de faire passer leurs messages : un réseau téléphonique clandestin de plus d’un millier de kilomètres entre les maquis.
Entre juin 1940 et novembre 1942, la France est coupée en deux par une ligne de démarcation, qui sépare la zone occupée par les nazis au nord de la « zone libre » sous contrôle du gouvernement de Vichy au sud. Cette ligne traverse la Saône-et-Loire d’ouest en est à quelques kilomètres au nord de Cluny en longeant le Doubs puis la Saône jusqu’à Chalon-sur-Saône, passant par Buxy pour rejoindre le canal du centre à Montchanin jusqu’à Digoin.
Grâce à cette situation géographique centrale, à son paysage boisé difficile à contrôler et à la présence d’importants foyers communistes, la Saône-et-Loire devient un lieu stratégique où la Résistance s’organise dans les maquis.
Ligne de démarcation en Saône-et-Loire (Archives départementales)
Les affiches de la rue Mercière
En zone libre comme en zone occupée, les moyens de communication sont confisqués, et la presse aux mains du pouvoir est censurée. Face à la propagande diffusée par l’occupant et le régime du maréchal Pétain, les résistants font de la communication un enjeu essentiel de leur action. Il s’agit à la fois d’informer la population pour gagner la bataille des idées et de s’organiser pour coordonner les actions de la Résistance.
« Lors du second conflit mondial, communiquer se révèle un enjeu majeur et une arme indispensable pour résister, dénoncer la propagande, défendre des valeurs et organiser la lutte contre l’occupant et l’Etat français. »
_ Exposition « Communiquer pour résister », Archives départementales de Saône-et-Loire.
Graffitis et tracts sont les premiers moyens utilisés par les réseaux de résistants, qui s’organisent jusqu’à diffuser, malgré la pénurie de papier, plusieurs journaux clandestins dont le tirage monte jusqu’à deux millions d’exemplaires à la veille de la Libération.
Pour contourner le contrôle des ondes, certaines radios étrangères comme la BBC à Londres émettent des émissions en français contenant notamment les célèbres « messages personnels » codés à destination de la résistance intérieure.
Les Archives de Saône-et-Loire conservent des témoignages marquants de cette stratégie de contre-propagande organisée par les résistants. Ainsi ce rapport de la brigade de gendarmerie de Cluny daté du 30 janvier 1943 dans lequel les gendarmes Astier et Berthillier rapportent avoir remarqué au petit matin « des affiches apposées sur diverses maisons de la rue principale de Cluny (rues Lamartine, Mercière et Prud’hon) [signées] « LIBERATION » ».
Malgré le questionnement des « personnes demeurant dans le voisinage [qui] ont déclaré n’avoir rien entendu au cours de la nuit » et la « visite des hôtels de la ville », l’enquête des gendarmes « n’a pas permis de découvrir la personne ayant apposé ses affiches ».
Le téléphone clandestin Clunisois
Communiquer est également un enjeu majeur pour les réseaux de résistance lorsqu’il s’agit de s’organiser, de coordonner leurs actions et de récolter des informations stratégiques. Les intermédiaires, notamment les femmes, deviennent des rouages essentiels la résistance intérieure.
Contrôle des déplacements, pénurie de carburant et contrôles inopinés dans les transports en commun laissent peu de moyens de communication aux résistants. Les messages sont souvent codés et transmis à bicyclette, roulés dans le cadre, le guidon ou les roues.
« Et si ces messieurs en habits vert train découvraient les messages que je « passe » cachés dans mon vélo ? »
_ Renée Large, Journal des années noires.
En juin 1944, le Clunisois fait figure d’exception dans cette stratégie de maintien de la communication entre foyers de résistance : pour limiter les déplacements et risques d’interception, les résistants construisent un réseau téléphonique clandestin reliant les différents maquis du secteur. Cluny (appelé « Lyon » pour tromper l’ennemi) est ainsi relié à Salornay-sur-Guye (« Détroit »), Saint-Gengoux-le-National (« Oslo »), Marizy (« Paris ») et Charolles (« Québec »). De ces points principaux, d’autres lignes montent jusque dans les maquis (Cotte, Montmain, Le Bois clair…).
C’est ainsi 1 100 km de circuits qui seront construits et utilisés par les résistants à l’été 1944, bien que certains chefs de maquis, méfiants à l’égard de cette installation, préfèrent continuer d’utiliser des agents de liaison.
Carte du réseau téléphonique clandestin (collection privée)
La résistance à l’œuvre
Le 6 juin 1944, alors que les Alliés débarquent en Normandie, Cluny s’impose comme le centre logistique des maquis environnants où sont positionnés des compagnies formant le « Régiment de Cluny » dont l’emblème et la devise sont « Fault pas y crainsdre ».
Le 11 août 1944, alors que 1 500 à 2 000 soldats des troupes allemandes cantonnées à Mâcon se mettent en marche pour détruire ce nid de résistance, le régiment de Cluny commandé par le capitaine Laurent Bazot barre le col du Bois-clair à l’ennemi. Deux bombardements de la commune n’y feront rien, le maquis tient sa place sur les crêtes comme dans la plaine, pour barrer l’accès au tunnel de la voie ferrée.
À la tombée de la nuit, les soldats allemands reculent enfin. Cluny devient la première ville libérée de Saône-et-Loire.
Cluny, le 11 août 1944 (collection privée)
Sources principales et remerciements :
- Archives départementales de Saône-et-Loire
- Centre de documentation « Résistance et Déportation de Saône-et-Loire » : expositions « Communiquer pour résister » et « Unis pour la victoire »
- Musée de la Résistance en ligne
Ma mère Simone Pierreclaud épouse Chalon a été la première en charge du réseau téléphonique tout juste ébauché. Elle a gardé toute sa vie, une copie des repères de ce réseau complexe. Copie que je possède encore !
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