Ce week-end se tenait à Cluny le Championnat de France de déterrage de blaireaux. Cet événement a provoqué l’ire de nombreuses associations écologistes qui ont appelé à manifester samedi après-midi au départ du Champ-de-Foire. Mais contrairement à toute attente, et malgré un énorme buzz dans les médias, cette manifestation n’a rassemblé qu’une petite poignée de défenseurs des animaux (200 personnes selon les organisateurs, une centaine selon la police). Au point que l’on a même cru que les forces de l’ordre seraient plus nombreuses que les manifestants !
Au premier abord, la polémique peut faire sourire. Un championnat de France de déterrage de blaireau, voilà qui paraît bien saugrenu. La discipline, officiellement nommée « vénerie sous terre », est pourtant considérée comme un sport à part entière, au même titre que la chasse. Pour en résumer le principe, des chiens terriers (fox, teckel, jack-russuel…) acculent le blaireau au fond de son trou le temps que les chasseurs creusent le sol pour l’en extraire. Après, libre à eux de le tuer ou de le relâcher dans la nature, selon ce qui est prévu dans l’arrêté préfectoral autorisant la manifestation.
Pourquoi un tel championnat à Cluny ?
Dans un article du JSL daté de mai 2005, on apprenait que la Saône-&-Loire est, avec 110 équipages, le département français qui compte le plus grand nombre d’amateurs de la discipline. C’était alors la première fois que cette manifestation se déroulait à Cluny… sans aucune polémique.
Il est vrai que pour parer à toute critique, l’association française des équipages de vénerie sous terre (AFEVST) avait alors publié un communiqué rassurant les défenseurs de l’environnement, dans un style qui en rappelle un autre : « Les règles ont pour base le respect de la nature et des équilibres philosophiques que la tradition nous a légués. C’est ainsi que prendre un animal est une chose, le prendre bien en est une autre ». La différence entre le bon chasseur et le mauvais chasseur, en quelque sorte…
De l’information à l’indignation.
En cette année 2008, l’affaire prend naissance autour du 21 avril, lorsque l’association écologiste France nature environnement fait diffuser sur internet un communiqué s’offusquant qu’un championnat de France de déterrage de blaireau ait lieu à Cluny du 16 au 18 mai prochains. Rappelant le principe du concours, l’association s’indigne de cette technique de chasse, « la plus cruelle pratiquée aujourd’hui en France », et signale que le concours a lieu « en pleine période de reproduction […] lorsque les petits sont à peine sortis des terriers et encore dépendants des adultes ». Elle rappelle également que l’espèce est protégée chez certains de nos voisins européens (bien que l’IUCN, Union internationale pour la conservation de la nature, principale ONG mondiale de protection de la nature basée en Suisse, ne considère pas le blaireau comme une espèce menacée).
Enfin, l’association écologiste met en pièce les arguments des chasseurs, qui justifieraient leur pratique au nom de la régulation des espèces, en signalant que le blaireau « ne cause que des dégâts minimes aux cultures ».
Le feu aux poudres est mis le 25 avril, lorsque la Préfecture de Saône-&-Loire diffuse à son tour un communiqué de presse, beaucoup plus largement repris celui-ci. Faisant suite à un rendez-vous entre les instances préfectorales et deux associations locales de protection de la nature, le communiqué indique que le concours de vénerie fait l’objet d’un arrêté autorisant la manifestation sous certaines conditions, la principale étant qu’il sera « strictement interdit de tuer les blaireaux ». Ouest-France et Libération notamment reprennent l’information (aussi bien sur leurs sites internet que dans leurs éditions papier), tout comme la radio RTL et l’AFP.
Le site internet LePost, filiale du Monde, indique le même jour avoir joint la mairie de Cluny qui a expliqué que la manifestation « ne se déroulera pas sur son territoire » et qu’elle « avait été décidé par l’ancienne équipe municipale ». Selon cet article, le maire de Cluny, Jean-Luc Delpeuch aurait par ailleurs indiqué être « contre cette manifestation ».
Le lendemain, France Info consacre un reportage de deux minutes sur le sujet. Le journaliste Christophe Dewaele y donne la parole aussi bien aux associations écologistes qui fustigent « un jeu » pour les chasseurs assimilable à « une pratique moyenâgeuse » ; qu’aux représentants des chasseurs qui indiquent que lorsqu’un chat joue pendant des heures avec une souris agonisante, personne ne s’indigne.
D’autres sites internet continuent de relayer la nouvelle tout au long du week-end, jusqu’à ce que le journal Le Monde publie à son tour un article le mardi 29 avril. Les chasseurs locaux quant à eux, font savoir dans le JSL qu’ils réunissent une « cellule de crise » pour étudier le problème.
De l’indignation à l’action.
Le lundi 28 avril, l’association écologiste FERUS annonce sur son site internet avoir mis en place deux « cyberactions » contre le concours de déterrage de blaireaux organisé à Cluny : la première est une pétition à signer en ligne (qui, à l’heure où ces lignes sont écrites, a reçu plus de 5 800 signatures) ; la seconde est un courriel-type à envoyer à la mairie de Cluny pour la faire réagir.
En effet, et bien qu’une première réaction soit parue sur internet, et face à l’ampleur que prennent les événements, on attend avec impatience une réaction officielle du nouveau maire de Cluny. Cependant, contrairement à la prise de position tranchée parue dans les colonnes du Post, il semble désormais urgent de ne pas prendre partie à l’Hôtel de Ville. Un laconique communiqué est alors envoyé aux associations et diffusé sur le site officiel de la mairie. Le premier magistrat rappelle que le concours a été organisé avant sa prise de fonction, que « les pratiques de vénerie n’auront pas lieu sur le territoire de la Commune de Cluny » et qu’il est disposé « à accueillir l’expression d’opinions critiques à ce sujet ». Une réponse bien policée…
Au lieu d’éteindre la polémique, cette réaction enflamme la blogosphère qui prend de plus en plus souvent la mairie de Cluny à partie dans cette affaire. Le 6 mai, l’ancienne ministre de l’écologie et actuelle sénatrice Dominique Voynet publie un communiqué de presse où elle indique alerter par courrier les instances officielles, dont le maire de Cluny, pour « obtenir l’annulation du championnat de Cluny et voir interdite une fois pour toutes ces pratiques [de vénerie] ». L’association de protection des espèces menacées AVES fait par ailleurs savoir qu’elle organisera plusieurs actions le 17 mai, en marge du championnat de France de vénerie sous terre, et notamment une « manifestation pacifique » à partir de 14h30 sur la place du Champ-de-Foire.
Enfin, un nouveau communiqué du maire de Cluny publié sur le site officiel de la Ville indique que « la nouvelle équipe municipale, particulièrement attachée aux questions environnementales » et à « sa volonté de démocratie participative » a souhaité « initier une démarche de dialogue constructif et pédagogique » en mettant la salle d’exposition de la Justice de Paix à disposition des associations écologistes, tout en soulignant son « souci permanent de préserver calme et sécurité publique ».
Un fiasco médiatique ?
Au delà du fond du problème, cette polémique a mis en lumière, s’il le fallait encore, le besoin impérieux pour tous de maîtriser l’image et la communication municipale. Mieux organisés sur le web et plus réactifs, les militants de la défense de l’environnement ont ainsi réussit en quelques jours à créer un formidable buzz dans les médias traditionnels et alternatifs pour mettre en lumière leur bataille. Dans ce cadre, les communiqués sans prise de position de la mairie de Cluny délivrés avec toujours un temps de retard ne font pas le poids face au rouleau compresseur médiatique qu’ils doivent affronter. Aujourd’hui, et bien que ce championnat de déterrage ne se déroule effectivement pas sur le territoire de Cluny, tous les médias associent et associeront la commune au concours controversé. Un comble pour une équipe municipale qui avait fait de la protection de la nature un thème clef de son programme électoral !
Il y a fort à parier que cette polémique médiatique s’éteindra aussi vite qu’elle est apparue. Reste que la réputation de la commune en a tout de même pris un sérieux coup, désormais associée a un bastion de déterreurs de blaireaux en puissance. Pas sûr que les habitants, et a fortiori la municipalité, aient envie de cela…